jeudi 5 mai 2016

Dix-huitième arrondissement



DIX-HUITIEME ARRONDISSEMENT



Départ en Ballon de Gambetta (Place Saint-Pierre, 18e)

En 1870, la guerre et le siège de Paris donnent à Nadar l’occasion d’ajouter un dernier épisode à sa carrière d’aéronaute. Dès le 4 septembre, il installe « révolutionnairement » sa compagnie d’aérostiers place Saint-Pierre : les ballons sont destinés non seulement à l’observation des lignes ennemies, mais encore aux communications postales, inaugurées le 23 septembre par le Neptune. Le 7 octobre, un ballon flambant neuf, l’Armand Barbès, s’élève au milieu de la foule venue assister au lancement, il emporte Gambetta, ministre de l’Intérieur du gouvernement de la Défense nationale. Témoin de la scène, Victor Hugo la décrit ainsi : « Il faisait beau. Au-dessous du ballon de Gambetta pendait une flamme tricolore. On a crié : Vive le République ! »


Eglise Saint-Jean-l’Evangéliste (19 Rue des Abbesses, 18e)

Construite entre 1894 et 1904, à la demande du curé de Saint-Pierre de Montmartre, dont la paroisse se révèle trop étendue, cette première église moderne de Paris est l’oeuvre d’un disciple de Labrouste, Anatole de Baudot. Novateur à sa manière, ce théoricien officiel, né à Sarrebourg en 1834, et mort chargé d’honneurs en 1915, conçoit l’idée d’une architecture sociale et économique, en harmonie avec l’essor industriel. Rationaliste et progressiste, doué d’une grande influence sur ses élèves, il ose introduire la fonte de fer et le ciment armé, et condamne dans ses écrits le camouflage des matériaux et des structures. L’année de l’inauguration, en 1904, il publie « L’architecture et le ciment armé », livre-témoin d’une époque en pleine mutation, fertile en recherches nouvelles, qui s’achève avec la première guerre mondiale. Si les visiteurs se montrent parfois choqués, au point de se livrer à de vives polémiques, la critique d’art est unanime à saluer l’originalité de l’entreprise. Le décor orientaliste, traité en « modern-style », contraste avec un plan traditionnel, réalisé sur deux niveaux en raison de l’escarpement de la colline.

La basilique du Sacré-Cœur (Parvis du Sacré-Cœur, angle Rue Azais, 18e)

En juillet 1873, l’Assemblée nationale déclare d’utilité publique la basilique que l’archevêque de Paris propose d’élever, par souscription nationale, au sommet de la colline de Montmartre, « en l’honneur du Sacré-Cœur de Jésus-Christ, pour appeler sur la France, et en particulier sur la capitale, la miséricorde et la protection divines ». Ainsi se concrétise le « Vœu national » lancé en 1870 pour la délivrance du pape et le salut de la France. Pie IX venait d’instituer la fête du Sacré-Cœur en 1856, cédant aux instances des Jésuites. La première pierre du colossal édifice est posée en 1875, sur l’emplacement du parc d’artillerie, et sa construction s’achève laborieusement : sa consécration a seulement lieu le 16 octobre 1919. 


La colline au Néolithique (angle Rue Ronsard et Place Saint-Pierre, 18e)

Grâce à son altitude, la colline de Montmartre représente déjà à l’ère quaternaire un lieu privilégié où se réfugient les grands mammifères dont Cuvier étudie les restes fossilisés dès 1798. La présence de sources et la richesse en gypse des sous-sols contribuent à favoriser l’éclosion d’un début de civilisation très précoce : un premier sanctuaire est sans doute édifié avant l’arrivée des druides. Bâti et habité par les Gallo-romains, le site porte à la fois un autel dédié à Mercure, à l’ouest de la colline, et un sanctuaire voué à Mars, au sud de l’église Saint-Pierre. D’où l’incertitude étymologique, entre le « Mont Mercurii » évoqué en 840 par Hilduin, et le « Mont Martis » auquel se réfère « Le siège de Paris » d’Abdon en 885. Au milieu du XIIIe siècle, la « Légende dorée » de Jacques de Voragine, véritable livre de chevet des châteaux aux chaumières, propage dans toute la chrétienté le renom du Mont des Martyrs, avec le récit du supplice de saint Denis et de ses compagnons. Ils éclipsent ainsi les dieux de l’industrie et de la guerre, sauf entre novembre 1793 et décembre 1794, où la butte se rebaptise « Mont-Marat », en hommage « l’ami du peuple ».


 La Folie Sandrin (22 Rue Norvins, 18e)

En 1774, le sieur Sandrin acquiert, au cœur du village de Montmartre, une propriété d’un arpent et demi afin de s’y faire construire une luxueuse maison de campagne, ou « folie ». Revendue à un marchand de vin en 1795, elle est transformée en clinique en 1806 par le docteur Prost, spécialiste des maladies mentales. Ce disciple de Pinel, en rupture avec la tradition qui maintenait les aliénés enchaînés dans les asiles, expérimente des traitements novateurs. « Le traitement moral est quelquefois plus efficace que les secours de l’art. Il faut être par caractère disposé à cette douce bienveillance, qui, ne se démentant jamais, inspire et fixe la confiance du malade et l’amène à faire sans effort ce qui convient à son état ». Le succès ne tarde pas, surtout auprès une clientèle d’écrivains et d’artistes fatigués ou dépressifs, et le docteur Esprit Blanche reprend en 1820 un établissement déjà célèbre. Avec son épouse, animée des mêmes sentiments philanthropiques, il s’attache à faire mener une paisible vie de famille à ses pensionnaires. Le plus illustre, à partir de 1841, se nomme Gérard de Nerval : « Ici a commencé pour moi ce que j’appellerai l’épanchement du songe dans la vie réelle »…


La fusillade du 18 Mars 1871 (angle Rue du Chevalier de la Barre et Rue de la Bonne, 18e)

Après l’échec de l’expédition nocturne chargée de s’emparer par surprise des canons de la garde nationale, la première effusion de sang a lieu au soir du 18 mars 1871. Le général Clément Thomas, vieux républicain exilé sous l’Empire et revenu participer à la défense de Paris après Sedan, est reconnu place Pigalle, malgré ses dénégations et son habit civil : il est à la recherche du général Lecomte, retenu par les insurgés depuis le matin, pour avoir donné à la troupe l’ordre de tirer sur la foule. Arrêté lui aussi, il est conduit au siège du Comité central situé au 6, rue des Rosiers (rebaptisée en 1907 rue du Chevalier de la Barre). Condamnés à mort par un jugement sommaire, tous deux sont passés par les armes contre le mur du jardin par leurs propres soldats.


La légende de saint Denis (7 bis Rue Girardon, 18e)

A l’époque mérovingienne, une tradition orale attribue l’évangélisation de la région parisienne au premier évêque et missionnaire envoyé par le pape Clément ; martyr de sa foi, saint Denis serait mort décapité en 273, avec le prêtre Rustique et l’archidiacre Eleuthère, à moins de quatre lieues de la ville. Sa mémoire est encore à ce point honorée en 475 que sainte Geneviève décide facilement le peuple à élever sur son tombeau un basilique où foisonnent les miracles ; les aveugles et les paralytiques guérissent, et les possédés du démon viennent s’y faire exorciser. En 840, l’abbé Hilduin relate la légende, promise à un succès extraordinaire, de la céphalophorie : sans cesser de prêcher, le saint aurait ramassé sa tête coupée, afin de la porter jusqu’à la fontaine. 


 La maison rose de Maurice Utrillo (angle Rue des Saules et Rue de l’Abreuvoir, 18e)

Né rue du Poteau en 1883, il est le fils de Suzanne Valadon (1867-1938), une acrobate et modèle encouragée par Degas, Toulouse-Lautrec et Renoir à développer un puissant talent expressionniste. Après un premier internement à Sainte-Anne dès 1900, sa mère l’initie à la peinture sur les conseils de médecins. Aussi attaché au décor urbain que Valadon au portrait, Utrillo rompt avec la tradition paysagiste pour créer une poétique de la ville irisée de mélancolie : l’essentiel de son œuvre est une description des rues de Montmartre, animée d’un souci de perfection dans le réalisme proche des peintres naïfs. Malgré sa légende de peintre maudit, il  connaît le succès à partir de 1919. Depuis 1955, il repose au cimetière Saint-Vincent, entre sa mère et sa compagne, Lucie Valore. 


La mire du Nord (12 Rue Jean-Baptiste Clément, 18e)

Dès 1670, l’Académie des Sciences entreprend de mesurer la longueur du méridien de Parisn exprimée en toises et en degrés, de Dunkerque à Barcelone. L’abbé Jean Picard, directeur des travaux entre Paris et Amiens, fait planter ici le 14 août 1675 une sorte de pilier en bois baptisé « le poteau de la méridienne ». Repris par les Cassini, ces travaux servent de base à l’établissement d’une carte de France, et le poteau se trouve remplacé par une construction pyramidale en pierre, de trois mètres de haut, surmontée d’une fleur de lys. Un inscription précise : « L’an 1736, cet obélisque a été élevé par ordre du roi, pour servir d’alignement à la méridienne de Paris du côté du Nord. Son axe est à 2,931 toises 2 pieds de la face méridionale de l’Observatoire ».


La statue du chevalier de la Barre (Rue Azais, angle Rue Saint Eleuthere, 18e)

« Lorsque le chevalier de la Barre fut convaincu d’avoir chanté des chansons impies, et même d’avoir passé devant une procession de capucins sans ôter son chapeau, les juges d’Abbeville ordonnèrent, non seulement qu’on lui arrachât la langue, qu’on lui coupât la main, et qu’on brûlât son corps à petit feu, mais ils l’appliquèrent encore à la torture pour savoir combien de chansons il avait chantées, et combien de processions il avait vues passer, le chapeau sur la tête. » Dès 1769, Voltaire s’indigne dans le « Dictionnaire philosophique » du sort réservé à ce jeune homme de 19 ans, exécuté en 1766. Les républicains lui érigent en 1885, sur le parvis du Sacré-Cœur, une statue, déplacée ici lors de l’ouverture du square en 1927, et partie à la fonte en 1941.


 Le bal du Château-Rouge (50 Boulevard Barbès, 18e)

A la fin du XVIIIe siècle s’élève ici, au milieu d’un grand parc, une pavillon de brique aux chaînes d’angle en pierre de taille, haut d’un étage, avec comble en attique. Son surnom lui vient sans doute de la couleur du matériau dominant. En 1844, une opération immobilière sacrifie arbres et bosquets pour ouvrir les rues Poulet, Custine, Myrha et du Château-Rouge (devenue Clignancourt). Un certain Boboeuf acquiert le pavillon pour y ouvrir en 1845 le « Nouveau Tivoli , bal du Château-Rouge » ; le succès ne se fait pas attendre, et l’endroit est choisi en juillet 1847 pour y tenir le premier des banquets réformistes, prélude à la révolution de 1848. Après une période de gloire sous le second Empire, son déclin s’amorce en 1871, et l’établissement est vendu en 1881.


 Le Bateau-Lavoir (13 Rue Ravignan, 18e)

« Nous retournerons tous au Bateau-Lavoir, nous n’aurons vraiment été heureux que là… » Jusqu’à sa mort, Picasso (1881-1973) garde la nostalgie du Montmartre rural de sa jeunesse, avec ses fermes, ses vergers et ses cabarets pittoresques. Arrivé sur la Butte à 19 ans, il prend ici en 1904 un atelier où il exécute les dernières œuvres de sa période bleue, celles de la période rose, inspirées par ses amours avec Fernande Olivier, et les « Demoiselles d’Avignon » (1907), prélude au cubisme. Alors plus connue sous le nom de « Maison du Trappeur », l’ancienne manufacture de pianos, divisée en ateliers d’artistes vers 1889 et rebaptisée par Max Jacob, a vu ses vastes baraquements de bois, labyrinthe de coursives et d’escaliers, réduits en cendres lors d’un incendie le 12 mai 1970.


Le Cat’s Cottage de Steinlen (73 Rue Caulaincourt, 18e)

« Il faut agir, le monde ne vas pas ainsi qu’il devrait aller ! » affirme Théophile-Alexandre Steinlen, rebaptisé par Jules Renard « l’œil incorruptible ». Né à Lausanne en 1859, venu vivre à Montmartre en 1878, il s’installe d’abord allée des Brouillards, avant de se fixer, toujours entouré d’une tribu de chats, dans le pavillon de Bavière, racheté après la démolition de l’Exposition de 1900 et remonté ici, en bordure du « Maquis ». Ce créateur polyvalent et prolifique, porté par un humanisme engagé, passe avec la même aisance du portrait à l’affiche, de l’allégorie lyrique à l’illustration des ouvrages d’Anatole France ou de Jehan Rictus : à travers Picasso, son influence s’exerce sur toute l’avant-garde du début du XXe siècle. Depuis 1923, il repose au cimetière Saint-Vincent.


 Le Château des Brouillards (angle Rue Girardon et Allée des Brouillards, 18e)

Malgré la légende, la folie édifiée ici en 1772 n’est pas destinée à l’écrivain Lefranc de Pompignan, mais à un avocat au Parlement de Paris. L’origine de ses brumes poétiques provient sans doute des vapeurs d’eau provoquées par des sources avoisinantes au contact de l’air frais. En 1854, Gérard de Nerval y rêve d’une idéale oasis de paix : « Ce qui me séduit, dans ce petit espace abrité de grands arbres, c’était d’abord ce reste de vignoble lié au souvenir de saint Denis…C’était ensuite le voisinage de l’abreuvoir, qui le soir, s’anime du spectacle de chevaux et de chien que l’on y baigne… admirable lieu de retraite, silencieux à ses heures… ». Délabré et menacé de démolition, le Château des Brouillards est restauré de 1922 à 1926


Le Chat Noir (84 Boulevard de Rochechouart)

Né en 1852 à Châtellerault, Rodolphe Salis fonde ici un cabaret où il attire, dans un invraisemblable bric-à-brac « de pur Louis XIII », les artistes de la Butte et l’état-major du « Club des Hydropathes »,mené par le journaliste Emile Goudeau. Dès l’inauguration tapageuse, en 1881, le ton est donné, qui fustige allègrement la clientèle bourgeoise et les institutions. Le succès de cette « citadelle bruyante et vengeresse d’où les projectiles tombent drus sur les pontifes du Boulevard jusque sur les momies de l’académie française » ne tarde pas, relayé par la création d’un hebdomadaire. En 1891 Alphonse Allais devient rédacteur en chef de cet « organe des intérêts de Montmartre », avec pour profession de foi : « La blague est la seule arme à employer contre la solennité… »


 Le cimetière Montmartre (20 avenue Rachel, 18e)

Au dix huitième siècle, ce terrain sert d’accès aux nombreuses carrières de plâtre de la colline. Transformé en fosse commune pour les victimes des émeutes de la Révolution, il garda cette vocation de nécropole, d’assez sinistre mémoire, sous le nom de « Cimetière de la Barrière blanche » : les Parisiens exilés de la capitale après la fermeture de tous les cimetières intra-muros pour raison d’hygiène, y sont inhumés dans des conditions déplorables. Officiellement ouvert le 1er janvier 1825, le Cimetière du Nord est désormais protégé contre les pilleurs de sépultures : il perd ainsi en 1856 l’un de ses conservateurs, M. de Vaulabelle, inventeur d’une système de pièges avec mise à feu, victime de son devoir pour s’être envoyé une décharge mortelle en pleine poitrine !


Le dispensaire de Clemenceau (23 Rue des Trois Frères, 18e)

Médecin par vocation et par tradition familiale, presque par devoir civique, Georges Clemenceau, né en Vendée en 1841, vient achever ses études à Paris par in internat. Après un voyage en Amérique, il ouvre ici un modeste dispensaire ; malgré ses responsabilités politiques croissantes, il y exerce jusqu’en 1906. Précurseur de la médecine du travail, il s’attaque à l’utilisation industrielle de produits toxiques pour les ouvriers, telle la céruse, et s’intéresse de très près aux questions sociales et à l’hygiène, ses domaines de prédilection au Conseil municipal de Paris. Elu maire du XVIIIe arrondissement au lendemain du 4 septembre 1870, il tente vainement de convaincre le général Lecomte de renoncer à l’enlèvement des canons de la Butte, à l’aube du 18 mars 1871.


Le Lapin Agile (angle Rue Saint-Vincent et Rue des Saules, 18e)

Vers 1860, le « Cabaret des Assassins » offre aux parisiens en mal de pittoresque sa terrasse accueillante, ombragée d’un grand acacia, et son petit vin clairet : transformé en auberge en 1886 par une ancienne danseuse fin cordon bleu, il reçoit parmi ses habitués Alphonse Allais, Caran d’Ache ou André Gill. Ce dernier décore la façade d’un lapin facétieux bondissant d’une casserole, et l’habitude se prend de désigner l’établissement sous le nom de « Lapin à Gill », vite déformé en « Lapin Agile ». Racheté en 1902 par Aristide Bruant, il est confié à un couple de gérants, Berthe et Frédé, célèbres pour la générosité de leur accueil aux rapins désargentés, Picasso, Modigliani, Utrillo… Même l’âne, Lolo, connaît son heure de gloire au Salon des Indépendants en 1910 sous le pseudonyme de Boronali, transparent anagramme d’Aliboron : il est l’auteur d’un « Coucher de soleil sur l’Adriatique » , grâce à l’immersion de son appendice caudal dans différents pots de couleur… L’inspirateur de cette mystification, Dorgelès, rédige un manifeste aux accents futuristes : « L’excès en art est une force… Place au génie de l’éblouissement ! » avant de révéler l’affaire à la presse, constat d’huissier à l’appui.


 L’Elysée Montmartre (72 Boulevard de Rochechouart, 18e)

Ouvert sous le premier Empire, il connaît son heure de gloire avec Olivier Metra, qui y dirige un orchestre de quarante musiciens. « Un double perron nous conduit à l’Elysée, qui se compose de trois corps de bâtiments et d’un vaste jardin bien planté. Le salon, élevé comme par enchantement, n’a pas de rival, sa surface est de mille mètres sans aucune colonne ; des galeries aériennes viennent s’arrêter à un vaste rocher destiné à porter l’orchestre : des cascades, des plantations de toutes sortes ajoutent encore à la beauté féérique de ce monument ». Devenu club révolutionnaire sous la Commune, il perd la plus grande partie de sa clientèle, avant de revenir à la mode à la fin du siècle, avec la Goulue et Valentin le Désossé, entourés d’une remarquable troupe de danseuses.
Preuve de la résistance à toute épreuve des « pelles Starck », celle-ci, située contre la salle de l’Elysée Montmartre, a parfaitement résisté à l’incendie qui a ravagé l’édifice le 22 mars 2011.


 Le Maquis (angle Rue Caulaincourt et Avenue Junot, 18e)

Sur le flanc sud de la rue Caulaincourt s’ouvrait au XIXe siècle un dédale de petites allées sinueuses entre jardinets, cabanes et maisonnettes : des chèvres venaient paître en liberté sur ces pentes agrestes. Cette vaste zone, baptisée le Maquis, était le paradis des enfants venus y faire l’école buissonnière, des marginaux et des peintres, attirés à la fois par le pittoresque des lieux et la modicité des loyers : Van Gogh, Steinlen, Van Dongen et Modigliani y ont ainsi habité lors de leur arrivée à Paris. Vêtues de chlamydes et de courtes tuniques, Isadora Ducan et ses élèves répétaient leurs danses grecques pieds nus sur le sable, en un endroit ironiquement surnommé « la plage ». Condamné en 1902 par l’ouverture de l’avenue Junot, le Maquis mit vingt ans à disparaître.


Le Moulin de la Galette (face au 88 Rue Lepic, 18e)

Plus qu’une institution, l’ancien « Blute-fin » est un monument avec sa légende héroïque ; en 1814, lors du siège de Paris par les Cosaques, le dernier des quatre frères d’une dynastie de meuniers attestée depuis 1621, les Debray, finit dépecé et cloué sur les ailes de son moulin au terme d’une défense désespérée. Sous la Restauration, son fils transforme le bâtiment en salle de bal, à la décoration essentiellement composée de treillis de jardin peints en vert. L’ambiance y est décontractée, et la clientèle plus populaire que dans les autres établissements, ce dont témoigne le tableau de Renoir, peint en 1876, « Le bal du Moulin de la Galette ». Après différents avatars l’ancien « Blute-fin » a été sauvé en 1979.


 Le Moulin-Rouge (82 Boulevard de Clichy, 18e)

Sur l’emplacement du bal de la Reine Blanche, Oler et Zidler ouvtent le Moulin-Rouge le 5 octobre 1889. Dans le jardin se promènent des singes en liberté, un énorme éléphant de bois à flancs mobiles abrite un orchestre, et sur une sciène de théâtre, évoluent des danseuses mauresques. Cha-U-Kao, Jane Avril, et surtout le « quadrille réaliste » dirigé par la Goulue assurent à l’établissement un succès considérable, immortalisé par les toiles et les affiches de Toulouse-Lautrec. Le 3 janvier 1907, le mimodrame « Rêve d’Egypte » provoque un scandale retentissant ; aux côtés de son amie Missy, travestie sous l’anagramme transparent d’Yssim, Colette, drapée de légers voiles, y tient le premier rôle. Son ex-mari, Willy, co-auteur de la pièce, doit évacuer la salle sous les huées. 


Le parc d’artillerie de Montmartre (2 Rue Azais, 18e)

En mars 1871, la situation est explosive dans la capitale. Durement ressentie après les souffrances endurées au cours des cinq derniers mois du siège, l’humiliation de la défaite est venue s’ajouter aux maladresses de l’Assemblée à majorité monarchiste, élue en février, qui décide de s’installer à Versailles. A l’aube du 18 mars, sur ordre de Thiers, l’armée tente de s’emparer par surprise des 227 canons de la garde nationale. Mal conçue, la manœuvre échoue, faute d’attelages en nombre suffisant ; la foule rassemblée fraternise avec la troupe, qui désarme ses officiers. A neuf heures du matin, la partie est perdue pour le gouvernement, et le Comité central de la garde nationale prend le pouvoir. Marquée d’un double caractère patriotique et révolutionnaire, la Commune vient de naître.


Le Passe-Muraille (Place Marcel-Aymé, 18e)

« Il y avait à Montmartre un excellent homme nommé Dutilleul qui possédait le don singulier de passer à travers les murs sans en être incommodé ». Modeste employé de troisième classe dans un ministère, il se découvre fortuitement cet étrange pouvoir, et l’utilise d’abord pour rendre fou un sous-chef de service qui l’abreuvait d’humiliations. Vient alors, après quelques fructueux cambriolages signés « Garou-Garou », le tour du directeur de la Santé, impuissant à garder un prisonnier qui sort déjeuner dans le quartier et l’appelle innocemment pour régler la note… L’amour perd cependant notre héros, figé à l’intérieur de la muraille au sortir d’une nuit passionnée. Depuis, « certaines nuits d’hiver, dans la solitude sonore de la rue Norvins », seuls les accords de guitare joués par le peintre Gen Paul « pénètrent au cœur de la pierre comme des gouttes de lune »…L’âpre lucidité de Marcel Aymé s’en donne à cœur joie dans ce recueil de nouvelles paru en 1943, qui dénonce d’un coup discret de baguette magique, narquoise irruption du fantastique dans un quotidien trop bien réglé, la médiocrité du monde moderne.


 Les grands magasins Dufayel (22 Rue de Clignancourt, 18e)

De 1856 à 1930, Dufayel offrit à ses visiteurs le rêve, à portée de main et à crédit : un receveur passe même chez les clients afin d’encaisser les mensualités. Mais l’action commerciale n’est pas l’essentiel, l’accent porte surtout sur le triomphe du luxe et de l’imaginaire. En 1895, Dalou décore le fronton d’un groupe sculpté, « Le Progrès entraînant dans sa course le Commerce et l’Industrie ». Un jardin d’hiver permet de flâner parmi les plantes exotiques, la galerie du haut présente des reconstitutions de salons historiques, et un orchestre au vaste répertoire classique accompagne des artistes de l’Opéra. Après 1900 le cinéma s’inscrit naturellement dans ce programme, et les soirs de spectacle, un puissant phare électrique projette ses rayons sur la ville. 


Le Sieur Chapelle (4 Rue de la Chapelle, 18e)

En 1626 naît à la Chapelle Claude-Emmanuel Luillier, fils de Marie Chanut et d’une maître des comptes, François Luillier, qui le légitime en 1642. Elevé sous le nom de son village natal, il laisse une réputation de littérateur pour avoir publié quelques poèmes, et surtout un récit en vers et prose d’un « Voyage en Provence » en 1663. Disciple de Gassendi dès 1641, il est aussi lié d’amitié avec Molière depuis le collège, et avec Racine, La Fontaine et Boileau. Aux reproches de ce dernier sur son épicurisme, il rétorque : « Toi, tu n’es ivre que de tes vers ! » Recherché dans tous les cercles, ce causeur spirituel, bon convive et savant sans pédantisme, reçoit pour épitaphe en 1686 : « A ses plaisirs toujours fidèle. Ci-gît l’ingénieux Chapelle. »

 
L’hôtel du comte de l’Escalopier (Angle Rue Cauchois et Impasse Marie Blanche, 18e)

Le 9 avril 1812 naît au château de Liancourt, en Picardie, Marie-Joseph-Charles de l’Escalopier, rejeton d’une vieille famille de noblesse de robe. Sa fortune lui permet de se livrer, aussitôt ses études achevées, à la science encore très neuve de l’archéologie, et il se fait construire dès 1835, près de la barrière Blanche, une demeure « gothique », reflet du goût de son époque pour le « style troubadour ». Dans le jardin, il fait installer des serres extraordinaires, chauffées à la vapeur, et une salle de gymnase, mais les sacrifie bientôt pour édifier une bibliothèque de 5000 volumes, et un petit musée d’orfèvrerie médiévale. Il regagne Liancourt pour y mourir en 1861, et lègue ses collections à la ville d’Amiens ; vendu, l’hôtel est démoli en 1882.


L’Hippo-Palace (face au 1 Rue Forest, 18e)

Inauguré le 13 mai 1900 avec un grand spectacle équestre, « Vercingétorix », qui réunit 200 artistes, 50 chevaux et 6 éléphants, l’Hippodrome est une salle polyvalente : après les courses de chevaux, les matches de football et les concours de patinage, ses cinq mille spectateurs peuvent ainsi découvrir les projections cinématographiques. Cette vocation l’emporte en 1908 : il devient l’Hippo-Palace, officiellement transformé le 27 septembre 1911 par Léon Gaumont en temple parisien du cinéma. Erik Satie y crée en 1917 « Parade », le premier spectacle « cubiste », avec ses décors et ses costumes de Picasso. Victime de son gigantisme, il disparaît n 1973 ; remontées au pavillon Baltard, seules grandes orgues échappent à la démolition.


Louise Michel directrice d’école (22 Rue Becquerel, 18e)

« Vers la fin de l’Empire, j’habitais avec ma mère une petite demeure gaie et proprette où j’avais installé mon école. Je ne tardai pas à avoir beaucoup d’élèves. J’aimais ces enfants de Montmartre, gentilles et franches, espiègles et bavardes comme de jeunes oiseaux… » Née le 29 mai 1830 à Vroncourt (Haute Marne), fille du châtelain et d’une servante, Louise Michel commence sa carrière d’institutrice en 1853, après de solides études. Venue à Paris en 1856, elle découvre, devant la misère des enfants, sa vocation à mener une vie « de propagande et d’action ». Ambulancière pendant le siège de Paris, elle participe sous la Commune au comité de vigilance de Montmartre, chargée des questions d’enseignement, et n’hésite pas à se battre sur les barricades en mai 1871. Sa mère prise en otage par les Versaillais, elle se constitue prisonnière et se voit condamnée à la déportation en Nouvelle-Calédonie ; amnistiée en 1880, elle choisit, après avoir connu de nouveaux emprisonnements, de s’exiler à Londres de 1890 à 1904. Elle vit désormais de ses livres et de ses conférences, jusqu’à sa mort à Marseille, le 10 janvier 1905.


Mairie de Montmartre (angle Rue Saint-Eleuthere et Rue Norvins)

Le 12 novembre 1789, l’assemblée nationale décrète la création d’une municipalité dans chaque ville, bourg ou paroisse. La commune de Montmartre voit le jour en 1790, non sans difficulté : en effet, la construction du mur de l’octroi vient de couper le village en deux. Le Haut-Montmartre élit son propre conseil, présidé par un farouche partisan de la séparation, entérinée le 22 juin 1790 ; la municipalité de Paris absorbe le Bas-Montmartre. Né à Rouen, Félix Desportes habite place du Tertre depuis 1788 : animé d’un grand zèle patriotique, ce gestionnaire avisé transforme son domicile en hôtel de la Mairie, et, jusqu’en avril 1793, établit solidement l’institution municipale. Devenu père en mai 1791, il donne à sa fille les prénoms de Flore, Pierrette, Montmartre…


Mairie du XVIIIe arrondissement (5 Rue du Mont Cenis, 18e)

Depuis1882, la municipalité de Paris se préoccupait de remplacer l’ancienne mairie de Montmartre, élevée place des Abbesses en 1836. Le préfet de la Seine, Eugène Poubelle, fit acheter en 1885 un terrain situé sur la place Sainte-Euphrasie, rebaptisée Jules Joffrin en 1895 ; le temps pressait, il n’y eut donc pas de concours, et la commande fut confiée à Marcelin-Emmanuel Varcollier (1829-1895). Cet ancien élève et collaborateur de Baltard était déjà depuis 1883 architecte officiel de la ville. Il sut séduire le jury par l’originalité de son projet, déposé en 1888 : autour d’un grand hall central couvert d’une verrière, les services municipaux sont répartis sur un plan en trapèze ; à l’étage, une bibliothèque, une salle des fêtes et deux salles des mariages. Une façade éclectique associe des pilastres de style Renaissance à des frontons Louis XV : elle est précédée d’un porche à cinq arcades, orné de deux statues de Gustave Crauk, la Liberté et la Fraternité. Le décor intérieur de la salle des fêtes, boiseries sculptées et dorées et plafond peint étoilé, est l’œuvre de l’architecte Claës. L’inauguration eut lieu le 17 juillet 1892.


Monument à la mémoire de Moncey (Place de Clichy, au pied de la statue de Moncey, 18e)

Ce monument d’académisme commémore les combats héroïques livrés par les défenseurs de Paris lors du siège de 1814, Amédée Doublemard (1826-1900), prix de Rome en 1854 et 1855, triomphe dans un concours organisé par la ville en 1863, sous le contrôle très étroit de la Commission des Beaux-Arts. Face à lui, Carpeaux présente un projet romantique et désordonné, dont la maquette est conservée au Petit Palais, et Horeau une stèle surmontée d’une navicelle soutenue par les « fluctuations des jours fastes et néfastes ». Erigé en 1869, ce monument n’a jamais connu d’inauguration officielle : la cérémonie, prévue le 15 août 1870, est annulée à cause de la guerre. Il prend ainsi valeur prophétique dans une France de nouveau menacée d’invasion. Poitrine offerte et la sabre à la main, Moncey s’élance, le bras gauche tendu afin de protéger la Ville, couronnée de tours, qui brandit l’aigle impériale : à l’arrière, un volontaire, élève de l’école Polytechnique, expire sur les débris d’une barricade. La majestueuse allégorie de pierre, haute de 14 mètres, hommage à la cité remodelée par Haussmann, est également considérée comme le prototype des monuments aux morts de la patrie.

Curieusement, l’identification de l’arrondissement sur le territoire duquel se trouve ce monument reste assez flottante, puisqu’il se trouve au centre d’une place située à la jonction de 4 arrondissements (8e, 9e, 17e et 18e). C’est une particularité que la place de Clichy partage avec deux autres lieux  parisiens : le pont Saint-Michel et le carrefour de Belleville.


Saint-Pierre de Montmartre (2 Rue du Mont Cenis, 18e)

Dès le milieu du Ve siècle s’élève ici, sur l’emplacement d’un temple de Mars, une première église mérovingienne. Cédée en ruines au roi Louis VI en 1133, elle est reconstruite pour l’abbaye de bénédictines fondée par la reine Adélaïde de Savoie, et solennellement consacrée par le pape Eugène III le lundi de Pâques 1147. Il s’agit de l’un des plus anciens édifices religieux de Paris, dont l’essentiel date du XIIe siècle, avec quelques remplois gallo-romains. Fermée au culte sous la Révolution, elle reçoit en 1794, au-dessus du Chœur des Dames désaffecté, une tour destinée à supporter le télégraphe optique de Chappe, en service jusqu’en 1844. Très dégradée au XIXe siècle, elle échappe de justesse à la démolition, et connaît une restauration radicale à partir de 1900.


 Théâtre de l’Atelier (1 Place Charles Dullin, 18e)

Pour avoir apporté à Louis XVIII un témoignage indiscutable de la mort du dauphin Louis XVII, Seveste se voit offrir en récompense la concession des théâtres situés au-delà des barrières de la capitale : il fait ainsi construite le Théâtre de Montmartre, ouvert en 1822. Le mélodrame romantique, l’opérette et l’opéra-bouffe y alternent tout au long du XIXe siècle, jusqu’à l’arrivée de Charles Dullin, rénovateur de talent, qui le transforme en 1922 en Théâtre de l’Atelier ; en 1930, Jean-Louis Barrault y fait ses débuts d’acteur. De 1940 à 1973, André Barsacq assure la succession de Dullin. La façade et le foyer, témoins de l’architecture romantique, sont classés en 1974, et la place du Théâtre porte depuis 1957 le nom de Charles Dullin (1885-1949). 

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