DIX-HUITIEME ARRONDISSEMENT
Départ en Ballon de Gambetta (Place Saint-Pierre, 18e)
En 1870, la guerre et le siège de Paris donnent à Nadar
l’occasion d’ajouter un dernier épisode à sa carrière d’aéronaute. Dès le 4
septembre, il installe « révolutionnairement » sa compagnie d’aérostiers
place Saint-Pierre : les ballons sont destinés non seulement à
l’observation des lignes ennemies, mais encore aux communications postales,
inaugurées le 23 septembre par le Neptune. Le 7 octobre, un ballon flambant
neuf, l’Armand Barbès, s’élève au milieu de la foule venue assister au
lancement, il emporte Gambetta, ministre de l’Intérieur du gouvernement de la
Défense nationale. Témoin de la scène, Victor Hugo la décrit ainsi :
« Il faisait beau. Au-dessous du ballon de Gambetta pendait une flamme tricolore.
On a crié : Vive le République ! »
Eglise Saint-Jean-l’Evangéliste (19 Rue des Abbesses, 18e)
Construite entre 1894 et 1904, à la demande du curé de
Saint-Pierre de Montmartre, dont la paroisse se révèle trop étendue, cette
première église moderne de Paris est l’oeuvre d’un disciple de Labrouste,
Anatole de Baudot. Novateur à sa manière, ce théoricien officiel, né à
Sarrebourg en 1834, et mort chargé d’honneurs en 1915, conçoit l’idée d’une
architecture sociale et économique, en harmonie avec l’essor industriel.
Rationaliste et progressiste, doué d’une grande influence sur ses élèves, il
ose introduire la fonte de fer et le ciment armé, et condamne dans ses écrits
le camouflage des matériaux et des structures. L’année de l’inauguration, en
1904, il publie « L’architecture et le ciment armé », livre-témoin
d’une époque en pleine mutation, fertile en recherches nouvelles, qui s’achève
avec la première guerre mondiale. Si les visiteurs se montrent parfois choqués,
au point de se livrer à de vives polémiques, la critique d’art est unanime à
saluer l’originalité de l’entreprise. Le décor orientaliste, traité en
« modern-style », contraste avec un plan traditionnel, réalisé sur
deux niveaux en raison de l’escarpement de la colline.
La basilique du Sacré-Cœur (Parvis du Sacré-Cœur, angle Rue Azais, 18e)
En juillet 1873, l’Assemblée nationale déclare d’utilité
publique la basilique que l’archevêque de Paris propose d’élever, par
souscription nationale, au sommet de la colline de Montmartre, « en
l’honneur du Sacré-Cœur de Jésus-Christ, pour appeler sur la France, et en
particulier sur la capitale, la miséricorde et la protection divines ».
Ainsi se concrétise le « Vœu national » lancé en 1870 pour la
délivrance du pape et le salut de la France. Pie IX venait d’instituer la fête
du Sacré-Cœur en 1856, cédant aux instances des Jésuites. La première pierre du
colossal édifice est posée en 1875, sur l’emplacement du parc d’artillerie, et
sa construction s’achève laborieusement : sa consécration a seulement lieu
le 16 octobre 1919.
La colline au Néolithique (angle Rue Ronsard et Place Saint-Pierre, 18e)
Grâce à son altitude, la colline de Montmartre représente
déjà à l’ère quaternaire un lieu privilégié où se réfugient les grands
mammifères dont Cuvier étudie les restes fossilisés dès 1798. La présence de
sources et la richesse en gypse des sous-sols contribuent à favoriser
l’éclosion d’un début de civilisation très précoce : un premier sanctuaire
est sans doute édifié avant l’arrivée des druides. Bâti et habité par les
Gallo-romains, le site porte à la fois un autel dédié à Mercure, à l’ouest de
la colline, et un sanctuaire voué à Mars, au sud de l’église Saint-Pierre. D’où
l’incertitude étymologique, entre le « Mont Mercurii » évoqué en 840
par Hilduin, et le « Mont Martis » auquel se réfère « Le siège
de Paris » d’Abdon en 885. Au milieu du XIIIe siècle, la « Légende
dorée » de Jacques de Voragine, véritable livre de chevet des châteaux aux
chaumières, propage dans toute la chrétienté le renom du Mont des Martyrs, avec
le récit du supplice de saint Denis et de ses compagnons. Ils éclipsent ainsi
les dieux de l’industrie et de la guerre, sauf entre novembre 1793 et décembre
1794, où la butte se rebaptise « Mont-Marat », en hommage
« l’ami du peuple ».
La Folie Sandrin (22 Rue Norvins, 18e)
En 1774, le sieur Sandrin acquiert, au cœur du village de
Montmartre, une propriété d’un arpent et demi afin de s’y faire construire une
luxueuse maison de campagne, ou « folie ». Revendue à un marchand de
vin en 1795, elle est transformée en clinique en 1806 par le docteur Prost,
spécialiste des maladies mentales. Ce disciple de Pinel, en rupture avec la
tradition qui maintenait les aliénés enchaînés dans les asiles, expérimente des
traitements novateurs. « Le traitement moral est quelquefois plus efficace
que les secours de l’art. Il faut être par caractère disposé à cette douce
bienveillance, qui, ne se démentant jamais, inspire et fixe la confiance du
malade et l’amène à faire sans effort ce qui convient à son état ». Le
succès ne tarde pas, surtout auprès une clientèle d’écrivains et d’artistes
fatigués ou dépressifs, et le docteur Esprit Blanche reprend en 1820 un
établissement déjà célèbre. Avec son épouse, animée des mêmes sentiments
philanthropiques, il s’attache à faire mener une paisible vie de famille à ses
pensionnaires. Le plus illustre, à partir de 1841, se nomme Gérard de
Nerval : « Ici a commencé pour moi ce que j’appellerai l’épanchement
du songe dans la vie réelle »…
La fusillade du 18 Mars 1871 (angle Rue du Chevalier de la Barre et Rue
de la Bonne, 18e)
Après l’échec de l’expédition nocturne chargée de s’emparer
par surprise des canons de la garde nationale, la première effusion de sang a
lieu au soir du 18 mars 1871. Le général Clément Thomas, vieux républicain
exilé sous l’Empire et revenu participer à la défense de Paris après Sedan, est
reconnu place Pigalle, malgré ses dénégations et son habit civil : il est
à la recherche du général Lecomte, retenu par les insurgés depuis le matin,
pour avoir donné à la troupe l’ordre de tirer sur la foule. Arrêté lui aussi,
il est conduit au siège du Comité central situé au 6, rue des Rosiers
(rebaptisée en 1907 rue du Chevalier de la Barre). Condamnés à mort par un
jugement sommaire, tous deux sont passés par les armes contre le mur du jardin
par leurs propres soldats.
La légende de saint Denis (7 bis Rue Girardon, 18e)
A l’époque mérovingienne, une tradition orale attribue
l’évangélisation de la région parisienne au premier évêque et missionnaire
envoyé par le pape Clément ; martyr de sa foi, saint Denis serait mort
décapité en 273, avec le prêtre Rustique et l’archidiacre Eleuthère, à moins de
quatre lieues de la ville. Sa mémoire est encore à ce point honorée en 475 que
sainte Geneviève décide facilement le peuple à élever sur son tombeau un
basilique où foisonnent les miracles ; les aveugles et les paralytiques
guérissent, et les possédés du démon viennent s’y faire exorciser. En 840,
l’abbé Hilduin relate la légende, promise à un succès extraordinaire, de la céphalophorie :
sans cesser de prêcher, le saint aurait ramassé sa tête coupée, afin de la
porter jusqu’à la fontaine.
La maison rose de Maurice Utrillo (angle Rue des Saules et Rue de
l’Abreuvoir, 18e)
Né rue du Poteau en 1883, il est le fils de Suzanne Valadon
(1867-1938), une acrobate et modèle encouragée par Degas, Toulouse-Lautrec et
Renoir à développer un puissant talent expressionniste. Après un premier
internement à Sainte-Anne dès 1900, sa mère l’initie à la peinture sur les
conseils de médecins. Aussi attaché au décor urbain que Valadon au portrait,
Utrillo rompt avec la tradition paysagiste pour créer une poétique de la ville
irisée de mélancolie : l’essentiel de son œuvre est une description des
rues de Montmartre, animée d’un souci de perfection dans le réalisme proche des
peintres naïfs. Malgré sa légende de peintre maudit, il connaît le succès à partir de 1919. Depuis
1955, il repose au cimetière Saint-Vincent, entre sa mère et sa compagne, Lucie
Valore.
La mire du Nord (12 Rue Jean-Baptiste Clément, 18e)
Dès 1670, l’Académie des Sciences entreprend de mesurer la
longueur du méridien de Parisn exprimée en toises et en degrés, de Dunkerque à
Barcelone. L’abbé Jean Picard, directeur des travaux entre Paris et Amiens,
fait planter ici le 14 août 1675 une sorte de pilier en bois baptisé « le
poteau de la méridienne ». Repris par les Cassini, ces travaux servent de
base à l’établissement d’une carte de France, et le poteau se trouve remplacé
par une construction pyramidale en pierre, de trois mètres de haut, surmontée
d’une fleur de lys. Un inscription précise : « L’an 1736, cet
obélisque a été élevé par ordre du roi, pour servir d’alignement à la
méridienne de Paris du côté du Nord. Son axe est à 2,931 toises 2 pieds de la face
méridionale de l’Observatoire ».
La statue du chevalier de la Barre (Rue Azais, angle
Rue Saint Eleuthere, 18e)
« Lorsque le chevalier de la Barre fut convaincu
d’avoir chanté des chansons impies, et même d’avoir passé devant une procession
de capucins sans ôter son chapeau, les juges d’Abbeville ordonnèrent, non
seulement qu’on lui arrachât la langue, qu’on lui coupât la main, et qu’on
brûlât son corps à petit feu, mais ils l’appliquèrent encore à la torture pour
savoir combien de chansons il avait chantées, et combien de processions il
avait vues passer, le chapeau sur la tête. » Dès 1769, Voltaire s’indigne
dans le « Dictionnaire philosophique » du sort réservé à ce jeune
homme de 19 ans, exécuté en 1766. Les républicains lui érigent en 1885, sur le
parvis du Sacré-Cœur, une statue, déplacée ici lors de l’ouverture du square en
1927, et partie à la fonte en 1941.
Le bal du Château-Rouge (50 Boulevard Barbès, 18e)
A la fin du XVIIIe siècle s’élève ici, au milieu d’un grand
parc, une pavillon de brique aux chaînes d’angle en pierre de taille, haut d’un
étage, avec comble en attique. Son surnom lui vient sans doute de la couleur du
matériau dominant. En 1844, une opération immobilière sacrifie arbres et
bosquets pour ouvrir les rues Poulet, Custine, Myrha et du Château-Rouge
(devenue Clignancourt). Un certain Boboeuf acquiert le pavillon pour y ouvrir
en 1845 le « Nouveau Tivoli , bal du Château-Rouge » ; le
succès ne se fait pas attendre, et l’endroit est choisi en juillet 1847 pour y
tenir le premier des banquets réformistes, prélude à la révolution de 1848.
Après une période de gloire sous le second Empire, son déclin s’amorce en 1871,
et l’établissement est vendu en 1881.
Le Bateau-Lavoir (13 Rue Ravignan, 18e)
« Nous retournerons tous au Bateau-Lavoir, nous
n’aurons vraiment été heureux que là… » Jusqu’à sa mort, Picasso
(1881-1973) garde la nostalgie du Montmartre rural de sa jeunesse, avec ses
fermes, ses vergers et ses cabarets pittoresques. Arrivé sur la Butte à 19 ans,
il prend ici en 1904 un atelier où il exécute les dernières œuvres de sa
période bleue, celles de la période rose, inspirées par ses amours avec
Fernande Olivier, et les « Demoiselles d’Avignon » (1907), prélude au
cubisme. Alors plus connue sous le nom de « Maison du Trappeur »,
l’ancienne manufacture de pianos, divisée en ateliers d’artistes vers 1889 et
rebaptisée par Max Jacob, a vu ses vastes baraquements de bois, labyrinthe de
coursives et d’escaliers, réduits en cendres lors d’un incendie le 12 mai 1970.
Le Cat’s Cottage de Steinlen (73 Rue Caulaincourt, 18e)
« Il faut agir, le monde ne vas pas ainsi qu’il devrait
aller ! » affirme Théophile-Alexandre Steinlen, rebaptisé par Jules
Renard « l’œil incorruptible ». Né à Lausanne en 1859, venu vivre à
Montmartre en 1878, il s’installe d’abord allée des Brouillards, avant de se
fixer, toujours entouré d’une tribu de chats, dans le pavillon de Bavière,
racheté après la démolition de l’Exposition de 1900 et remonté ici, en bordure
du « Maquis ». Ce créateur polyvalent et prolifique, porté par un
humanisme engagé, passe avec la même aisance du portrait à l’affiche, de
l’allégorie lyrique à l’illustration des ouvrages d’Anatole France ou de Jehan
Rictus : à travers Picasso, son influence s’exerce sur toute l’avant-garde
du début du XXe siècle. Depuis 1923, il repose au cimetière Saint-Vincent.
Le Château des Brouillards (angle Rue Girardon et Allée des
Brouillards, 18e)
Malgré la légende, la folie édifiée ici en 1772 n’est pas
destinée à l’écrivain Lefranc de Pompignan, mais à un avocat au Parlement de
Paris. L’origine de ses brumes poétiques provient sans doute des vapeurs d’eau
provoquées par des sources avoisinantes au contact de l’air frais. En 1854,
Gérard de Nerval y rêve d’une idéale oasis de paix : « Ce qui me séduit,
dans ce petit espace abrité de grands arbres, c’était d’abord ce reste de
vignoble lié au souvenir de saint Denis…C’était ensuite le voisinage de
l’abreuvoir, qui le soir, s’anime du spectacle de chevaux et de chien que l’on
y baigne… admirable lieu de retraite, silencieux à ses heures… ». Délabré
et menacé de démolition, le Château des Brouillards est restauré de 1922 à 1926
Le Chat Noir (84 Boulevard de Rochechouart)
Né en 1852 à Châtellerault, Rodolphe Salis fonde ici un
cabaret où il attire, dans un invraisemblable bric-à-brac « de pur Louis
XIII », les artistes de la Butte et l’état-major du « Club des
Hydropathes »,mené par le journaliste Emile Goudeau. Dès l’inauguration
tapageuse, en 1881, le ton est donné, qui fustige allègrement la clientèle
bourgeoise et les institutions. Le succès de cette « citadelle bruyante et
vengeresse d’où les projectiles tombent drus sur les pontifes du Boulevard
jusque sur les momies de l’académie française » ne tarde pas, relayé par
la création d’un hebdomadaire. En 1891 Alphonse Allais devient rédacteur en
chef de cet « organe des intérêts de Montmartre », avec pour
profession de foi : « La blague est la seule arme à employer contre
la solennité… »
Le cimetière Montmartre (20 avenue Rachel, 18e)
Au dix huitième siècle, ce terrain sert d’accès aux
nombreuses carrières de plâtre de la colline. Transformé en fosse commune pour
les victimes des émeutes de la Révolution, il garda cette vocation de
nécropole, d’assez sinistre mémoire, sous le nom de « Cimetière de la Barrière
blanche » : les Parisiens exilés de la capitale après la fermeture de
tous les cimetières intra-muros pour raison d’hygiène, y sont inhumés dans des
conditions déplorables. Officiellement ouvert le 1er janvier 1825,
le Cimetière du Nord est désormais protégé contre les pilleurs de
sépultures : il perd ainsi en 1856 l’un de ses conservateurs, M. de
Vaulabelle, inventeur d’une système de pièges avec mise à feu, victime de son
devoir pour s’être envoyé une décharge mortelle en pleine poitrine !
Le dispensaire de Clemenceau (23 Rue des Trois Frères, 18e)
Médecin par vocation et par tradition familiale, presque par
devoir civique, Georges Clemenceau, né en Vendée en 1841, vient achever ses
études à Paris par in internat. Après un voyage en Amérique, il ouvre ici un
modeste dispensaire ; malgré ses responsabilités politiques croissantes,
il y exerce jusqu’en 1906. Précurseur de la médecine du travail, il s’attaque à
l’utilisation industrielle de produits toxiques pour les ouvriers, telle la
céruse, et s’intéresse de très près aux questions sociales et à l’hygiène, ses
domaines de prédilection au Conseil municipal de Paris. Elu maire du XVIIIe
arrondissement au lendemain du 4 septembre 1870, il tente vainement de
convaincre le général Lecomte de renoncer à l’enlèvement des canons de la
Butte, à l’aube du 18 mars 1871.
Le Lapin Agile (angle Rue Saint-Vincent et Rue des Saules, 18e)
Vers 1860, le « Cabaret des Assassins » offre aux
parisiens en mal de pittoresque sa terrasse accueillante, ombragée d’un grand
acacia, et son petit vin clairet : transformé en auberge en 1886 par une
ancienne danseuse fin cordon bleu, il reçoit parmi ses habitués Alphonse
Allais, Caran d’Ache ou André Gill. Ce dernier décore la façade d’un lapin
facétieux bondissant d’une casserole, et l’habitude se prend de désigner
l’établissement sous le nom de « Lapin à Gill », vite déformé en
« Lapin Agile ». Racheté en 1902 par Aristide Bruant, il est confié à
un couple de gérants, Berthe et Frédé, célèbres pour la générosité de leur
accueil aux rapins désargentés, Picasso, Modigliani, Utrillo… Même l’âne, Lolo,
connaît son heure de gloire au Salon des Indépendants en 1910 sous le
pseudonyme de Boronali, transparent anagramme d’Aliboron : il est l’auteur
d’un « Coucher de soleil sur l’Adriatique » , grâce à l’immersion de
son appendice caudal dans différents pots de couleur… L’inspirateur de cette
mystification, Dorgelès, rédige un manifeste aux accents futuristes :
« L’excès en art est une force… Place au génie de l’éblouissement ! »
avant de révéler l’affaire à la presse, constat d’huissier à l’appui.
L’Elysée Montmartre (72 Boulevard de Rochechouart, 18e)
Ouvert sous le premier Empire, il connaît son heure de
gloire avec Olivier Metra, qui y dirige un orchestre de quarante musiciens.
« Un double perron nous conduit à l’Elysée, qui se compose de trois corps
de bâtiments et d’un vaste jardin bien planté. Le salon, élevé comme par
enchantement, n’a pas de rival, sa surface est de mille mètres sans aucune
colonne ; des galeries aériennes viennent s’arrêter à un vaste rocher
destiné à porter l’orchestre : des cascades, des plantations de toutes
sortes ajoutent encore à la beauté féérique de ce monument ». Devenu club
révolutionnaire sous la Commune, il perd la plus grande partie de sa clientèle,
avant de revenir à la mode à la fin du siècle, avec la Goulue et Valentin le
Désossé, entourés d’une remarquable troupe de danseuses.
Preuve de la résistance à toute épreuve des
« pelles Starck », celle-ci, située contre la salle de l’Elysée
Montmartre, a parfaitement résisté à l’incendie qui a ravagé l’édifice le 22
mars 2011.
Le Maquis (angle Rue Caulaincourt et Avenue Junot, 18e)
Sur le flanc sud de la rue Caulaincourt s’ouvrait au XIXe
siècle un dédale de petites allées sinueuses entre jardinets, cabanes et
maisonnettes : des chèvres venaient paître en liberté sur ces pentes
agrestes. Cette vaste zone, baptisée le Maquis, était le paradis des enfants
venus y faire l’école buissonnière, des marginaux et des peintres, attirés à la
fois par le pittoresque des lieux et la modicité des loyers : Van Gogh,
Steinlen, Van Dongen et Modigliani y ont ainsi habité lors de leur arrivée à
Paris. Vêtues de chlamydes et de courtes tuniques, Isadora Ducan et ses élèves
répétaient leurs danses grecques pieds nus sur le sable, en un endroit
ironiquement surnommé « la plage ». Condamné en 1902 par l’ouverture
de l’avenue Junot, le Maquis mit vingt ans à disparaître.
Le Moulin de la Galette (face au 88 Rue Lepic, 18e)
Plus qu’une institution, l’ancien « Blute-fin »
est un monument avec sa légende héroïque ; en 1814, lors du siège de Paris
par les Cosaques, le dernier des quatre frères d’une dynastie de meuniers
attestée depuis 1621, les Debray, finit dépecé et cloué sur les ailes de son
moulin au terme d’une défense désespérée. Sous la Restauration, son fils
transforme le bâtiment en salle de bal, à la décoration essentiellement
composée de treillis de jardin peints en vert. L’ambiance y est décontractée,
et la clientèle plus populaire que dans les autres établissements, ce dont
témoigne le tableau de Renoir, peint en 1876, « Le bal du Moulin de la
Galette ». Après différents avatars l’ancien « Blute-fin » a été
sauvé en 1979.
Le Moulin-Rouge (82 Boulevard de Clichy, 18e)
Sur l’emplacement du bal de la Reine Blanche, Oler et Zidler
ouvtent le Moulin-Rouge le 5 octobre 1889. Dans le jardin se promènent des
singes en liberté, un énorme éléphant de bois à flancs mobiles abrite un
orchestre, et sur une sciène de théâtre, évoluent des danseuses mauresques.
Cha-U-Kao, Jane Avril, et surtout le « quadrille réaliste » dirigé
par la Goulue assurent à l’établissement un succès considérable, immortalisé
par les toiles et les affiches de Toulouse-Lautrec. Le 3 janvier 1907, le
mimodrame « Rêve d’Egypte » provoque un scandale retentissant ;
aux côtés de son amie Missy, travestie sous l’anagramme transparent d’Yssim,
Colette, drapée de légers voiles, y tient le premier rôle. Son ex-mari, Willy,
co-auteur de la pièce, doit évacuer la salle sous les huées.
Le parc d’artillerie de Montmartre (2 Rue Azais, 18e)
En mars 1871, la situation est explosive dans la capitale.
Durement ressentie après les souffrances endurées au cours des cinq derniers
mois du siège, l’humiliation de la défaite est venue s’ajouter aux maladresses
de l’Assemblée à majorité monarchiste, élue en février, qui décide de
s’installer à Versailles. A l’aube du 18 mars, sur ordre de Thiers, l’armée
tente de s’emparer par surprise des 227 canons de la garde nationale. Mal
conçue, la manœuvre échoue, faute d’attelages en nombre suffisant ; la
foule rassemblée fraternise avec la troupe, qui désarme ses officiers. A neuf
heures du matin, la partie est perdue pour le gouvernement, et le Comité
central de la garde nationale prend le pouvoir. Marquée d’un double caractère
patriotique et révolutionnaire, la Commune vient de naître.
Le Passe-Muraille (Place Marcel-Aymé, 18e)
« Il y avait à Montmartre un excellent homme nommé
Dutilleul qui possédait le don singulier de passer à travers les murs sans en
être incommodé ». Modeste employé de troisième classe dans un ministère,
il se découvre fortuitement cet étrange pouvoir, et l’utilise d’abord pour
rendre fou un sous-chef de service qui l’abreuvait d’humiliations. Vient alors,
après quelques fructueux cambriolages signés « Garou-Garou », le tour
du directeur de la Santé, impuissant à garder un prisonnier qui sort déjeuner
dans le quartier et l’appelle innocemment pour régler la note… L’amour perd
cependant notre héros, figé à l’intérieur de la muraille au sortir d’une nuit
passionnée. Depuis, « certaines nuits d’hiver, dans la solitude sonore de
la rue Norvins », seuls les accords de guitare joués par le peintre Gen
Paul « pénètrent au cœur de la pierre comme des gouttes de
lune »…L’âpre lucidité de Marcel Aymé s’en donne à cœur joie dans ce
recueil de nouvelles paru en 1943, qui dénonce d’un coup discret de baguette
magique, narquoise irruption du fantastique dans un quotidien trop bien réglé,
la médiocrité du monde moderne.
Les grands magasins Dufayel (22 Rue de Clignancourt, 18e)
De 1856 à 1930, Dufayel offrit à ses visiteurs le rêve, à
portée de main et à crédit : un receveur passe même chez les clients afin
d’encaisser les mensualités. Mais l’action commerciale n’est pas l’essentiel,
l’accent porte surtout sur le triomphe du luxe et de l’imaginaire. En 1895,
Dalou décore le fronton d’un groupe sculpté, « Le Progrès entraînant dans
sa course le Commerce et l’Industrie ». Un jardin d’hiver permet de flâner
parmi les plantes exotiques, la galerie du haut présente des reconstitutions de
salons historiques, et un orchestre au vaste répertoire classique accompagne
des artistes de l’Opéra. Après 1900 le cinéma s’inscrit naturellement dans ce
programme, et les soirs de spectacle, un puissant phare électrique projette ses
rayons sur la ville.
Le Sieur Chapelle (4 Rue de la Chapelle, 18e)
En 1626 naît à la Chapelle Claude-Emmanuel Luillier, fils de
Marie Chanut et d’une maître des comptes, François Luillier, qui le légitime en
1642. Elevé sous le nom de son village natal, il laisse une réputation de
littérateur pour avoir publié quelques poèmes, et surtout un récit en vers et
prose d’un « Voyage en Provence » en 1663. Disciple de Gassendi dès
1641, il est aussi lié d’amitié avec Molière depuis le collège, et avec Racine,
La Fontaine et Boileau. Aux reproches de ce dernier sur son épicurisme, il
rétorque : « Toi, tu n’es ivre que de tes vers ! »
Recherché dans tous les cercles, ce causeur spirituel, bon convive et savant
sans pédantisme, reçoit pour épitaphe en 1686 : « A ses plaisirs
toujours fidèle. Ci-gît l’ingénieux Chapelle. »
L’hôtel du comte de l’Escalopier (Angle Rue Cauchois et Impasse Marie
Blanche, 18e)
Le 9 avril 1812 naît au château de Liancourt, en Picardie,
Marie-Joseph-Charles de l’Escalopier, rejeton d’une vieille famille de noblesse
de robe. Sa fortune lui permet de se livrer, aussitôt ses études achevées, à la
science encore très neuve de l’archéologie, et il se fait construire dès 1835,
près de la barrière Blanche, une demeure « gothique », reflet du goût
de son époque pour le « style troubadour ». Dans le jardin, il fait
installer des serres extraordinaires, chauffées à la vapeur, et une salle de
gymnase, mais les sacrifie bientôt pour édifier une bibliothèque de 5000
volumes, et un petit musée d’orfèvrerie médiévale. Il regagne Liancourt pour y
mourir en 1861, et lègue ses collections à la ville d’Amiens ; vendu,
l’hôtel est démoli en 1882.
L’Hippo-Palace (face au 1 Rue Forest, 18e)
Inauguré le 13 mai 1900 avec un grand spectacle équestre,
« Vercingétorix », qui réunit 200 artistes, 50 chevaux et 6
éléphants, l’Hippodrome est une salle polyvalente : après les courses de
chevaux, les matches de football et les concours de patinage, ses cinq mille
spectateurs peuvent ainsi découvrir les projections cinématographiques. Cette
vocation l’emporte en 1908 : il devient l’Hippo-Palace, officiellement
transformé le 27 septembre 1911 par Léon Gaumont en temple parisien du cinéma.
Erik Satie y crée en 1917 « Parade », le premier spectacle
« cubiste », avec ses décors et ses costumes de Picasso. Victime de
son gigantisme, il disparaît n 1973 ; remontées au pavillon Baltard,
seules grandes orgues échappent à la démolition.
Louise Michel directrice d’école (22 Rue Becquerel, 18e)
« Vers la fin de l’Empire, j’habitais avec ma mère une
petite demeure gaie et proprette où j’avais installé mon école. Je ne tardai
pas à avoir beaucoup d’élèves. J’aimais ces enfants de Montmartre, gentilles et
franches, espiègles et bavardes comme de jeunes oiseaux… » Née le 29 mai
1830 à Vroncourt (Haute Marne), fille du châtelain et d’une servante, Louise
Michel commence sa carrière d’institutrice en 1853, après de solides études.
Venue à Paris en 1856, elle découvre, devant la misère des enfants, sa vocation
à mener une vie « de propagande et d’action ». Ambulancière pendant
le siège de Paris, elle participe sous la Commune au comité de vigilance de
Montmartre, chargée des questions d’enseignement, et n’hésite pas à se battre
sur les barricades en mai 1871. Sa mère prise en otage par les Versaillais,
elle se constitue prisonnière et se voit condamnée à la déportation en
Nouvelle-Calédonie ; amnistiée en 1880, elle choisit, après avoir connu de
nouveaux emprisonnements, de s’exiler à Londres de 1890 à 1904. Elle vit
désormais de ses livres et de ses conférences, jusqu’à sa mort à Marseille, le
10 janvier 1905.
Mairie de Montmartre (angle Rue Saint-Eleuthere et Rue Norvins)
Le 12 novembre 1789, l’assemblée nationale décrète la
création d’une municipalité dans chaque ville, bourg ou paroisse. La commune de
Montmartre voit le jour en 1790, non sans difficulté : en effet, la
construction du mur de l’octroi vient de couper le village en deux. Le
Haut-Montmartre élit son propre conseil, présidé par un farouche partisan de la
séparation, entérinée le 22 juin 1790 ; la municipalité de Paris absorbe
le Bas-Montmartre. Né à Rouen, Félix Desportes habite place du Tertre depuis
1788 : animé d’un grand zèle patriotique, ce gestionnaire avisé transforme
son domicile en hôtel de la Mairie, et, jusqu’en avril 1793, établit solidement
l’institution municipale. Devenu père en mai 1791, il donne à sa fille les
prénoms de Flore, Pierrette, Montmartre…
Mairie du XVIIIe arrondissement (5 Rue du Mont Cenis, 18e)
Depuis1882, la municipalité de Paris se préoccupait de
remplacer l’ancienne mairie de Montmartre, élevée place des Abbesses en 1836.
Le préfet de la Seine, Eugène Poubelle, fit acheter en 1885 un terrain situé
sur la place Sainte-Euphrasie, rebaptisée Jules Joffrin en 1895 ; le temps
pressait, il n’y eut donc pas de concours, et la commande fut confiée à
Marcelin-Emmanuel Varcollier (1829-1895). Cet ancien élève et collaborateur de
Baltard était déjà depuis 1883 architecte officiel de la ville. Il sut séduire
le jury par l’originalité de son projet, déposé en 1888 : autour d’un
grand hall central couvert d’une verrière, les services municipaux sont
répartis sur un plan en trapèze ; à l’étage, une bibliothèque, une salle
des fêtes et deux salles des mariages. Une façade éclectique associe des pilastres
de style Renaissance à des frontons Louis XV : elle est précédée d’un
porche à cinq arcades, orné de deux statues de Gustave Crauk, la Liberté et la
Fraternité. Le décor intérieur de la salle des fêtes, boiseries sculptées et
dorées et plafond peint étoilé, est l’œuvre de l’architecte Claës.
L’inauguration eut lieu le 17 juillet 1892.
Monument à la mémoire de Moncey (Place de Clichy, au pied de la statue
de Moncey, 18e)
Ce monument d’académisme commémore les combats héroïques
livrés par les défenseurs de Paris lors du siège de 1814, Amédée Doublemard
(1826-1900), prix de Rome en 1854 et 1855, triomphe dans un concours organisé
par la ville en 1863, sous le contrôle très étroit de la Commission des
Beaux-Arts. Face à lui, Carpeaux présente un projet romantique et désordonné,
dont la maquette est conservée au Petit Palais, et Horeau une stèle surmontée
d’une navicelle soutenue par les « fluctuations des jours fastes et
néfastes ». Erigé en 1869, ce monument n’a jamais connu d’inauguration
officielle : la cérémonie, prévue le 15 août 1870, est annulée à cause de
la guerre. Il prend ainsi valeur prophétique dans une France de nouveau menacée
d’invasion. Poitrine offerte et la sabre à la main, Moncey s’élance, le bras
gauche tendu afin de protéger la Ville, couronnée de tours, qui brandit l’aigle
impériale : à l’arrière, un volontaire, élève de l’école Polytechnique,
expire sur les débris d’une barricade. La majestueuse allégorie de pierre,
haute de 14 mètres,
hommage à la cité remodelée par Haussmann, est également considérée comme le
prototype des monuments aux morts de la patrie.
Curieusement, l’identification de l’arrondissement sur
le territoire duquel se trouve ce monument reste assez flottante, puisqu’il se
trouve au centre d’une place située à la jonction de 4 arrondissements (8e,
9e, 17e et 18e). C’est une particularité que
la place de Clichy partage avec deux autres lieux parisiens : le pont Saint-Michel et le
carrefour de Belleville.
Saint-Pierre de Montmartre (2 Rue du Mont Cenis, 18e)
Dès le milieu du Ve siècle s’élève ici, sur l’emplacement
d’un temple de Mars, une première église mérovingienne. Cédée en ruines au roi
Louis VI en 1133, elle est reconstruite pour l’abbaye de bénédictines fondée
par la reine Adélaïde de Savoie, et solennellement consacrée par le pape Eugène
III le lundi de Pâques 1147. Il s’agit de l’un des plus anciens édifices
religieux de Paris, dont l’essentiel date du XIIe siècle, avec quelques
remplois gallo-romains. Fermée au culte sous la Révolution, elle reçoit en
1794, au-dessus du Chœur des Dames désaffecté, une tour destinée à supporter le
télégraphe optique de Chappe, en service jusqu’en 1844. Très dégradée au XIXe
siècle, elle échappe de justesse à la démolition, et connaît une restauration
radicale à partir de 1900.
Théâtre de l’Atelier (1 Place Charles Dullin, 18e)
Pour avoir apporté à Louis XVIII un témoignage indiscutable
de la mort du dauphin Louis XVII, Seveste se voit offrir en récompense la
concession des théâtres situés au-delà des barrières de la capitale : il
fait ainsi construite le Théâtre de Montmartre, ouvert en 1822. Le mélodrame
romantique, l’opérette et l’opéra-bouffe y alternent tout au long du XIXe
siècle, jusqu’à l’arrivée de Charles Dullin, rénovateur de talent, qui le
transforme en 1922 en Théâtre de l’Atelier ; en 1930, Jean-Louis Barrault
y fait ses débuts d’acteur. De 1940 à 1973, André Barsacq assure la succession
de Dullin. La façade et le foyer, témoins de l’architecture romantique, sont
classés en 1974, et la place du Théâtre porte depuis 1957 le nom de Charles
Dullin (1885-1949).
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